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- Russie, Covid et ovnis : Alain Juillet, l’ex-cadre de la DGSE qui plaît aux complotistes
- Par Paméla Rougerie
- Le 29 octobre 2022 à 12h00
- Alain Juillet commente les dernières actualités de la guerre en Ukraine sur sa chaîne YouTube. Capture d'écran Youtube/OPEN BOX TV
- Alain Juillet commente les dernières actualités de la guerre en Ukraine sur sa chaîne YouTube. Capture d'écran Youtube/OPEN BOX TV
- Crédibilisé par son court passage à la DGSE, le conférencier de 80 ans, ancien dirigeant d’entreprise, distille de nombreuses analyses géopolitiques qui semblent plaire à certains milieux contestataires, très à droite ou versant dans le complotisme.
- Un ancien directeur de la DGSE qui assure que les Occidentaux sont responsables de la guerre en Ukraine ? L’idée aurait de quoi faire trembler certains diplomates. Alain Juillet, présenté comme un ancien espion, l’assure à Valeurs actuelles le 18 octobre : « Les Américains ont tout fait, en poussant les Ukrainiens, pour que cette guerre se passe ».
- Depuis plusieurs années, le conférencier multiplie les apparitions dans des médias alternatifs et sur YouTube pour partager des analyses sur l’actualité. Mais les dernières prises de position aux relents pro-Russes de celui qui veut asseoir une image d’expert en géopolitique suscitent déjà l’intérêt des sphères d’extrême droite et friandes de complots.
- Si le conférencier de 80 ans, fils d’un ancien ministre et neveu d’un conseiller de Pompidou et Chirac, est aussi sollicité, c’est parce qu’il affiche à son CV une ligne capitale : ancien directeur du renseignement à la DGSE. L’expérience remonte à 2002, et n’était pas passée inaperçue : à son arrivée à la DGSE, Alain Juillet était alors plutôt connu pour ses postes de dirigeant au sein de grands groupes alimentaires, comme Pernod Ricard, Suchard, l’Union laitière normande, France Champignon ou encore Marks & Spencer France.
- « Honorable correspondant » à la DGSE
- En parallèle de ses activités dans le civil, Alain Juillet travaillait, aussi, pour les services de renseignements français, raconte-t-il. Loin des espions infiltrés sur le terrain rappelant Malotru et Phénomène du « Bureau des Légendes », il y avait plutôt la fonction « d’honorable correspondant » qui rendait des « services » à la DGSE, après un début de carrière militaire au service d’action du SDECE, ancêtre du service, en 1965, dit-il.
- Sa spécialité ? « L’intelligence économique », à savoir le recueil d’informations sur l’activité d’entreprises à l’étranger afin de les transmettre « aux décideurs ». Mais l’intégration d’Alain Juillet aux renseignements est un échec. En cause, un « conflit de priorités » à la DGSE : pour le service de renseignements français, l’intelligence économique n’est pas un sujet primordial. Il ne reste dans ce service de la DGSE qu’un an, une durée courte selon les standards de l’agence.
- En 2003, Alain Juillet est transféré au Secrétariat général de la Défense nationale, auprès de Jean-Pierre Raffarin, au titre de Haut responsable chargé de l’intelligence économique. Avec les années, le sujet perd de son envergure, et passe du secteur de la défense à celui de l’économie, au Sisse, un service de Bercy. En 2009, Alain Juillet quitte son poste, sans être remplacé.
- Covid-19, ovnis et géopolitique
- Marqué des prestigieux sceaux de la DGSE et de cette expérience, Alain Juillet fait le tour des plateaux et des amphis qui veulent bien l’accueillir. Après un passage comme consultant dans un cabinet d’avocats, il donne des conférences, toujours sur le thème de l’intelligence économique. Mais pas que. Ses centres d’intérêt varient. Un jour, il intervient dans un documentaire pour interroger la recherche autour des ovnis. Un autre, il écrit sur la pandémie de Covid-19, « signal », selon lui, « que les choses sont en train de dériver » sur la question de la liberté. Autant de questionnements dont sont friands certains milieux complotistes - Silvano Trotta citera par ailleurs Alain Juillet comme référence sur son canal Telegram.
- Alain Juillet se passionne aussi pour l’histoire, et « le dessous des cartes ». Il en fait deux émissions mensuelles d’une douzaine de minutes, pendant un an et demi, sur la chaîne de propagande russe RT France, sous le titre « La Source ». « C’est la patronne de RT qui m’a proposé de faire une émission. Je ne voulais pas au départ, parce que je ne voulais pas me faire récupérer par RT », se souvient-il. Mais Xenia Fedorova a su convaincre l’ex de la DGSE, en lui promettant une liberté de ton et de sujets.
- Banco pour Alain Juillet, qui devient alors présentateur et éditorialiste « toutologue ». Entre deux vidéos d’analyse de géopolitique, il parle des « risques et dérives de la pensée unique », pourfend l’antiracisme et les revendications « violentes » des minorités, dénonce un supposé « sectarisme » de « la majorité » des ONG, et dénonce les accusations à tout-va de « complotisme », qui interdisent toute « liberté de penser autrement ». Ce « toutologisme » fonctionne : il lui avait permis, par ailleurs, de rassembler plus de 2 millions de vues en 2018 sur la chaîne Thinkerview, habituée des interviews fleuves de figures médiatiques parfois contestataires.
- La guerre en Ukraine, un « épiphénomène »
- Un sujet revient beaucoup dans les dernières interventions du conférencier : la guerre en Ukraine. À l’instar d’un Kremlin virulent contre l’OTAN, Alain Juillet accuse surtout les États-Unis et les Européens « d’avoir tout mis en place tous les éléments pour amener à cette guerre ». Il reproche aux États-Unis d’avoir financé la révolution proeuropéenne de Maïdan de 2014 (élément déclencheur de la guerre du Donbass), une théorie complotiste répandue dans les médias propagandistes prorusses… Et par Vladimir Poutine lui-même.
- Décrivant une « tendance pro-nazie » dans le pays, le géopolitologue autodidacte a par ailleurs du mal à reconnaître que l’Ukraine est un État à part entière. « L’Ukraine a été constituée après la guerre de 1914, c’est-à-dire il y a 100 ans. Est-ce que 100 ans ça suffit pour dire que c’est un pays ? Moi je pense que non », tonne-t-il.
- Surtout, pour Alain Juillet, le conflit en Ukraine n’est qu’un « épiphénomène » au cœur d’une grande marche mondiale où l’Occident perdrait du poids face à la montée en puissance de l’Asie. La guerre est économique, dit-il. Et potentiellement culturelle, explique-t-il au média d’extrême droite Valeurs actuelles. Aux jeunes générations inquiètes pour le futur, il suggère notamment « d’apprendre à manger du riz et à connaître les plats indiens. »
- Avec un tel discours, mêlant craintes d’un effondrement civilisationnel et éléments de langages du Kremlin, Alain Juillet a été cité comme exemple par le chercheur prisé des antivax Idriss Aberkane, ou encore le site complotiste Planetes360. Preuve, une nouvelle fois, de la porosité entre les milieux complotistes, antivax et prorusses. Une porosité que l’intéressé rejette fermement, arguant se battre contre la « pensée unique » véhiculée par les médias : « Je suis profondément démocrate et républicain. Il faut défendre ses idées, même quand même quand le plus grand nombre considère que vous n’avez pas droit de les dire », promet-il. « Dans le fond, je suis un vrai Don Quichotte. »
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